Le changement climatique menace-t-il l'écosystème des lacs de montagne ?

Les lacs, malgré l’impression de stabilité qu’ils peuvent donner, sont des systèmes dynamiques, en évolution permanente, qui s’adaptent aux modifications de leur environnement. Ils sont sous l’influence de multiples facteurs, agissant à l’échelle globale ou locale : température, précipitations, polluants atmosphériques, usages du bassin versant…

À l’échelle géologique, ces conditions ont toujours changé (du fait du climat, de la tectonique des plaques.). Cependant aujourd’hui, le changement climatique influence un grand nombre de ces facteurs à une vitesse très rapide. Les espèces super-adaptées à ces milieux froids et particuliers n’ont, pour certaines, pas le temps d’évoluer.

La réponse à la question « Le changement climatique menace-t-il l’écosystème des lacs de montagne ? » est donc OUI, notamment car il modifie profondément leur fonctionnement et affecte les espèces rares qu’on retrouve uniquement dans ces lacs. 

Comment le climat évolue en montagne ?

En plus des effets de l’augmentation des températures, le changement climatique affecte le régime des précipitations (en termes de volume, de fréquence et de répartition de la neige et de la pluie entre les saisons). Pour résumer, globalement dans les Alpes, le changement climatique induit
- des printemps et des étés plus chauds et secs ;
- des hivers avec une période d’enneigement plus courte ;
 - des événements extrêmes en terme de précipitation plus fréquents.

Ces modifications du climat entraînent des conséquences directement dans les lacs et leurs bassins versants comme sur la température de l’eau, la période d’englacement … Mais aussi des conséquences indirectes comme par exemple 1&2 :

  • Sur le couvert végétal du bassin versant : On parle de « verdissement » car l’activité photosynthétique des plantes en haute montagne s’est accrue à partir du 19ème siècle, à la sortie du Petit Age Glaciaire 3. La végétation a gagné du terrain sur les surfaces minérales telles que les éboulis, les parois, les alluvions et les espaces libérés par la fonte des névés et des glaciers.
  • Sur l’érosion des sols du bassin versant : les débits des cours d’eau et leurs tracés sont modifiés notamment lors de la fonte des neiges et des épisodes de fortes pluies, les zones d’érosion ne sont donc plus les mêmes. L’eau arrivant dans le lac a donc des propriétés physico-chimiques différentes (par exemple, au niveau du pH et de la conductivité).

 

Lac Blanc (Parlognan-la-Vanoise)

Et à l’échelle du lac ?

Le verdissement augmente également la production d’azote et de phosphore dans le bassin versant, et l’érosion facilite le transfert de ces nutriments dans le lac. Cela génère l’enrichissement du lac (voir question 3).

Par ailleurs, le changement climatique engendre des modifications majeures dans le fonctionnement du lac liées à la température de l’eau (voir question 18). Pour la plupart des lacs, la température de l’eau se réchauffe ce qui a des impacts sur de nombreux processus biologiques. Par exemple, la photosynthèse réalisée par le phytoplancton augmente à plus forte température, par des procédés directs et indirects.

Le saviez-vous ? Les concentrations en azote augmentent aussi du fait des apports atmosphériques liés notamment aux intrants agricoles utilisés en plaine mais transportés jusqu’en montagne (voir question 17). 

D’une part, le métabolisme des espèces augmente avec la température (jusqu’à un certain seuil). Et d’autre part,  à température plus élevée l’oxydation de l'azote ammoniacal en nitrates est plus rapide, et donc la disponibilité en nutriments essentiels à la croissance des végétaux est supérieure.

Ces conditions permettent l’accélération des processus de photosynthèse, et il en résulte une production primaire plus importante à l’échelle du lac.
En cascade, d’autres évolutions sont prévues comme la diminution de la transparence de l’eau pour les lacs qui s’enrichissent ou des phénomènes de diminution drastique des concentrations en oxygène au fond des lacs.

Le lac du Brévent (Haute-Savoie)

Et les conséquences de la fonte des glaciers ? Des changements majeurs sont observés dans les lacs reliés à un glacier. La fonte exacerbée des glaciers peut produire plus d’eau froide et refroidir certains lacs ou à l’inverse limiter les débits et contribuer au réchauffement rapide des lacs (voir l’exemple du lac de l’Arpont en Savoie question 18 : en un an, l’eau du lac en surface l’été passe de 5°C en moyenne à 12°C). Toutes les espèces présentes dans le lac et adaptées à l’arrivée d’eau froide sont impactées : certaines disparaissent alors que d’autres se plaisent dans ces nouvelles conditions et prolifèrent. En outre, avec le recul voire la disparition des glaciers, de nouveaux lacs apparaissent.

Moins froid et plus riche : cela devrait “plaire” aux espèces vivant là-haut ?

Comme expliqué dans la question 11, le froid et le manque de nutriments sont des paramètres qui freinent le développement de la vie dans le lac. On pourrait donc s’attendre à plus de biodiversité si l’eau est plus chaude et plus riche en nutriments ?!
Le nombre d'individus et/ou d’espèces présentes dans ces lacs augmentera s’il fait plus chaud et que le milieu est plus riche. Or la vraie question concerne plutôt la biodiversité spécifique aux lacs froids et pauvres de montagne : ces espèces-là ne vont-t-elles pas disparaître, face aux pressions conjointes du réchauffement climatique et de la potentielle compétition avec de nouvelles espèces à la recherche de refuges climatiques 4?

Le lac Jovet (Les Contamines-Montjoie)
Zooplancton (daphnie) d'un lac d'altitude

Les conséquences pour les espèces

L’enrichissement en azote et en phosphore et la hausse des températures modifient profondément le milieu, dès la base du réseau trophique. Cela bouleverse totalement les équilibres écologiques et favorise des espèces de faune et de flore issues de plus basse altitude. En d’autre terme, on assiste à une colonisation des milieux d’altitude par les espèces qui n’étaient jusqu’ici pas adaptées au climat montagnard.
Les espèces actuelles des lacs de montagne adaptées aux conditions froides et pauvres de ces lacs sont donc menacées de disparition par le changement climatique 5 & 6. La biodiversité présente dans les lacs de montagne "ressemble” de plus en plus à celle présente dans les lacs de moyenne montagne et les écosystèmes s’homogénéisent.

Des changements de biodiversité déjà visibles

Certains lacs comme le lac Merlet Supérieur dans le Parc national de la Vanoise ne présentaient pas de végétation à la fin des années 1970 7 alors qu’aujourd’hui plusieurs grands herbiers sont présents sur la moitié des zones littorales entre 0 et 1m de profondeur.

Le lac Merlet

L'exemple du  plancton des lacs d’altitude

A l’IMBE (Institut Méditerranéen de biodiversité et d'Ecologie marine et continentale), des études sont menées pour mieux comprendre comment le changement climatique impacte les populations de plancton. Des échantillons d’eau ont été prélevés dans plusieurs lacs d’altitude des Alpes du Sud et ramenés au laboratoire. En faisant varier différents paramètres sur les échantillons comme la température et la concentration en azote et en phosphore, les chercheurs miment les conséquences du changement climatique. Ils peuvent ainsi étudier comment les communautés de phytoplancton de ces lacs se comportent : lesquelles disparaissent ? lesquelles prolifèrent ? Cela donne un aperçu des évolutions attendues dans les lacs d’altitude.
Les résultats montrent que les communautés présentent aujourd’hui dans ces lacs sont très sensibles aux effets de la température et à l’enrichissement en nutriments 8.

Phytoplancton observé au microscope
Grenouille rousse

Les grenouilles rousses

Des études menées par le CREA MontBlanc montrent à quel point les grenouilles rousses (Rana temporaria) d’altitude sont vulnérables face au changement climatique 9. Par exemple, des études montrent que les femelles pondent plus tôt au printemps les années moins enneigées (comme en 2017). Hors l’hiver n’est pas totalement fini : les œufs ne sont pas à l’abri d’une période de gel tardif.  
Les grenouilles rousses trouvent souvent refuge dans les zones de mares au bord des lacs d’altitude. Avec des étés de plus en plus chauds et secs, la probabilité d'assèchement de ces milieux augmente. Les zones littorales des lacs constituent alors un milieu alternatif de ponte, mais celles-ci peuvent être peuplées de prédateurs pour les œufs, comme les poissons. Entre les mares asséchées et les zones de refuge des littoraux des lacs avec d’autres dangers (la prédation), la survie des têtards et donc des grenouilles rousses est semée d'embûches…

Pour en savoir plus sur le travail mené par le CREA-Mont Blanc : https://www.atlasmontblanc.org/explorer/grenouilles/

En Savoir plus

(1) « Impacts du changement climatique et transition(s) dans les Alpes du Sud», Les cahiers du GREC-SUD édités par l’Association pour l’innovation et la recherche au service du climat (AIR), p. 48, 2018. www.grec-sud.fr/cahierthematique/montagne/#art-2632 

(2) E. Cremonese, B. Carlson, G. Filippa, P. Pogliott, I. Alvarez, JP. Fosson, L. Ravanel et A. Delestrade «AdaPT Mont-Blanc : Rapport Climat: Changements climatiques dans le massif du Mont-Blanc et impacts sur les activités humaines.» Rédigé dans le cadre du projet AdaPT Mont-Blanc financé par le Programme européen de coopération territoriale Alcotra Italie-France 2014-2020. 2019, p. 101 www.espacemont-blanc.com/asset/rapportclimat.pdf

(3) B. Carlson, M.C. Corona, C. Dentant, R. Bonet, W. Thuiller et P. Choler, « Observed long-term greening of alpine vegetation - A case study in the French Alps », Environmental Research Letters, vol. 12, 2017, doi: 10.1088/1748-9326/aa84bd. 

(4) S. Cauvy-Fraunié et O. Dangles, « A global synthesis of biodiversity responses to glacier retreat », Nat Ecol Evol, vol. 3, no 12, Art. no 12, 2019, doi: 10.1038/s41559-019-1042-8.

(5) V. Rosset et B. Oertli, « Freshwater biodiversity under climate warming pressure: Identifying the winners and losers in temperate standing waterbodies », Biological Conservation, vol. 144, no 9, p. 2311 2319, 2011, doi: 10.1016/j. biocon.2011.06.009.

(6) V. Rosset, A. Lehmann, et B. Oertli, « Warmer and richer? Predicting the impact of climate warming on species richness in small temperate waterbodies », Global Change Biology, vol. 16, no 8, p. 2376 2387, 2010, doi: 10.1111/j.1365-2486.2010.02206.x.

(7) J.P. Martinot, « Écologie et gestion piscicole des lacs de haute altitude du Parc national de la Vanoise », Thèse de spécialité, Écologie Appliquée, Université de Grenoble, Grenoble, 1979. 

(8) C. Jacquemin, « Vulnérabilité des lacs de haute altitude au changement climatique », These de doctorat, Aix-Marseille, 2019. www.theses.fr/2019AIXM0012

(9) M. Bison et al., « Earlier Snowmelt Advances Breeding Phenology of the Common Frog (Rana temporaria) but Increases the Risk of Frost Exposure and Wetland Drying », Frontiers in Ecology and Evolution, vol. 9, 2021, 2022. www. frontiersin.org/article/10.3389/fevo.2021.645585

Fiche 12 : Le changement climatique menace-t-il l’écosystème des lacs de montagne ?