Quelles sont les conséquences de l'arrivée de nouvelles espèces dans les lacs ?

Les lacs d’altitude constituent des écosystèmes particuliers avec une biodiversité adaptée. Du fait de leur localisation en haute-montagne, on pourrait les comparer aux écosystèmes insulaires sur certains points : il y a peu de connexion entre les lacs d’altitude, la biodiversité est endémique …

De manière générale, les écosystèmes sont en évolution permanente : ils s’adaptent aux modifications. L’arrivée de nouvelles espèces est donc une caractéristique de l’évolution des écosystèmes.
Néanmoins, le commerce et les échanges à l’échelle mondiale, la rapidité des transports et la fréquentation de tous les milieux naturels engendrent l’arrivée d’espèces exotiques envahissantes. A ce titre, les espèces exotiques envahissantes sont considérées comme la troisième cause d’érosion de la biodiversité mondiale.
En altitude, différents mécanismes entraînent l’arrivée de nouvelles espèces ; tout comme pour le reste des écosystèmes, certains mécanismes sont naturels et d’autres sont directement ou indirectement le fruit des activités humaines. En lien avec le changement climatique, l’arrivée de nouvelles espèces en haute-montagne s’intensifie. Tout ceci peut engendrer de grande modification des milieux 1.

Col et lac de la Rocheure

Qui peut arriver dans ces lacs ? et comment ?

Il s’agit autant des animaux que des végétaux, des espèces aquatiques et des espèces amphibies (qui peuvent vivre à la fois dans l’eau et dans l’air, par exemple les plantes semi-émergées ou les amphibiens). Ces dernières sont souvent plus à même de se déplacer entre les zones aquatiques de montagne : cours d’eau, mares, lacs …
Quand on évoque la biodiversité, nous pensons directement à la faune et à la flore, mais il y a également toute une biodiversité microscopique : bactéries, champignons, virus, … dont la présence (ou l’extinction) peut-être plus difficile à déceler...  

Enfin, de manière générale, avec le changement climatique, de nombreuses espèces remontent en altitude. Ce sont des espèces communes de plus basse altitude qui sont capables de s’adapter à différents environnements (voir question 12).

Comment les espèces arrivent-elles dans un lac ?

  • Par les cours d’eau : Certaines espèces aquatiques peuvent remonter les cours d’eau et coloniser des écosystèmes de plus en plus hauts en altitude. La colonisation des lacs de haute montagne peut cependant être limitée par des barrières naturelles ou artificielles, telles que les cascades ou les barrages. Dans certains lacs comme celui d’Anterne à Sixt-fer-à-cheval (Haute-Savoie), l’émissaire est souterrain ; le cours d’eau ressort à l’air libre à plus de 700 m du lac, 100m d’altitude plus bas.
  • Par l’air : De manière passive, des petits organismes peuvent être transportés par le vent et se retrouver dans ou aux abords des lacs montagne 2 & 3. Il s‘agit d’animaux et de végétaux microscopiques ayant des stades très résistants tels que des rotifères, des nématodes, des tardigrades, des insectes, des acariens, des arachnides, des graines…  
  • Par voie terrestre : Les espèces animales amphibies peuvent se déplacer d’un point d’eau à un autre par voie terrestre. Elles peuvent donc coloniser de nouveaux milieux, mais sur de petites distances (de l’ordre au maximum de quelques kilomètres pour la grenouille rousse et pour les libellules).
  • Avec nous :

-    Certaines espèces peuvent voyager sur nos chaussures, sacs à dos, bateaux et autres objets que nous portons.
-     Les introductions de poissons (l’alevinage) sont aussi des espèces que l’on apporte dans les lacs. De plus, les alevins sont potentiellement des vecteurs d’autres espèces (dont des pathogènes). 

Promeneurs traversant le lac des vaches

En plaine, il est admis que les bords de route constituent des zones particulièrement affectées par les espèces végétales invasives. Avec la fréquentation touristique en montagne, des études suggèrent que les sentiers de randonnées pourraient être des vecteurs importants de plantes non indigènes en montagne 4.

Quel est le problème ?

Les espèces présentent naturellement sont dites autochtones ou indigènes.  Quand une nouvelle espèce (une espèce allochtone ou exotique) arrive dans l’écosystème de montagne, la plupart du temps, elle n’est pas adaptée et ne peut survivre longtemps dans cet écosystème au faible température (notamment en hiver).

Une des particularités de la biodiversité présente dans les lacs de montagne est son adaptation aux conditions extrêmes d’altitude (voir question 11). Cette adaptation est le fruit de longs processus évolutifs. Dans certains cas, les espèces allochtones sont capables de survivre, et vont potentiellement prendre la place des espèces autochtones.

Les ressources étant limitées dans les lacs d’altitude, la compétition est rude et seules les espèces les plus adaptées aux conditions survivent. Par exemple, la compétition peut concerner la disponibilité en nutriment (azote et phosphore), l’accès à la lumière ou à certains habitats habitat

Ainsi, le problème majeur des espèces exotiques envahissantes est la potentielle répercussion sur l’ensemble de la chaîne trophique par le biais de la compétition entre espèces ou par la prédation directe.

L'exemple le plus marquant est l’arrivée de poissons (voir question 10) qui sont des « super-prédateurs » pour le milieu. Ils modifient totalement les populations de zooplancton et d’invertébrés, ce qui fait changer en cascade les populations de phytoplancton.

L’arrivée de nouvelles espèces est donc une menace qui s’ajoute aux pressions existantes (changement climatique, pollutions diverses, enrichissement des lacs) et affecte l’équilibre des écosystèmes d’altitude.

 

Différentes perturbations :

Les espèces allochtones peuvent modifier non seulement le réseau trophique des lacs mais également :

  • les caractéristiques chimiques de l’eau. Par exemple, la prolifération d’algues peut modifier les concentrations en oxygène de l’eau du lac.
  • la transparence de l’eau. Par exemple, la présence de vairons dans un lac engendre une diminution de la transparence de l’eau, les vairons brassant le fond du lac.
  • les microorganismes présents. Par exemple, les cyanobactéries qui peuvent modifier totalement l’état du lac lorsqu’elles prolifèrent de manière rapide et soudaine.
  • les pathogènes présents.

 

Menaces sanitaires : Transmission de pathogènes et de parasites

L’arrivée de pathogène dans l’écosystème peut engendrer des problèmes sanitaires importants. C’est le cas par exemple de virus (comme les ranavirus) ou des champignons (comme celui qui cause le chytridiomycose). Ces pathogènes sont à l’origine de maladies infectieuses qui affectent les amphibiens à l’échelle mondiale et sont responsables de mortalités importantes en montagne.

Dans le parc national du Mercantour, des études sur les amphibiens ont été menées suite à la découverte de nombreux têtards et adultes trouvés morts dès 2012 à cause d’un « ranavirus ». L’apparition soudaine de ce virus est même caractérisée d’ « explosive », et cause une épidémie majeure et mortelle pour la plupart des individus.
Une étude 5 a permis de mieux comprendre comment ce virus affecte les amphibiens et de détecter sa présence dans les lacs d’altitude via des outils se basant sur l’ADN-environnemental : certaines espèces comme la truite ou le vairon peuvent être porteuses du virus et contaminer les écosystèmes où elles se trouvent.

Suite à ces recherches, le parc national du Mercantour a mis en place une communication spécifique pour éviter que le virus ne se propage et détruise les populations d’amphibiens d’altitude. Les consignes sont :

  • ne pas toucher les amphibiens afin d’éviter la transmission du virus d’un individu à l’autre (par ailleurs, la manipulation de ces espèces protégées est interdite par la loi) ;
  • ne pas déplacer les espèces potentiellement porteuse, comme les poissons d’un lac à l’autre ;
  • en cas d’alevinage, vérifier le statut infectieux des poissons introduits ;
  • ne pas transporter d’eau d’un lac à l’autre ;
  • désinfecter les objets qui ont été au contact de l’eau d’un lac (par exemple les bottes, les épuisettes, …) avant d’en fréquenter un autre, ou au moins les faire sécher au soleil.

Les consignes établies par le parc national du Mercantour sont bien évidemment valables pour tous les massifs, notamment ceux peu voire non touchés par les ranavirus.

Qu’est-ce qu’une Espèce exotique envahissante (EEE) ?

Une espèce exotique envahissante (ou espèce invasive) est une espèce introduite par l’homme en dehors de son aire de répartition naturelle (volontairement ou fortuitement) et dont l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes avec des conséquences écologiques et/ou économiques et/ou sanitaires négatives (définition de l’IUCN - Union Internationale pour la Conservation de la Nature et du parlement européen).

Reconnue comme la 3ème cause de l’érosion de la biodiversité à l’échelle mondiale, les espèces exotiques envahissantes sont une menace pour un tiers des espèces terrestres 6.

En France métropolitaine, les plus connues sont le ragondin, l'écrevisse de Louisiane, la grenouille taureau, la pyrale du buis ; au niveau de la flore, on peut citer l’ambroisie, la renouée du Japon…
 

Pour en savoir plus : Le centre de ressources sur les espèces exotiques envahissantes : http://especes-exotiques-envahissantes.fr/

Au fond du lac de Bordères Louron se cotoient une espèce assez rare (le potamot graminée) et une espèces exotique envahissante (l’élodée du Canada)

Dans les lacs d’altitude, les exemples les plus connus d’espèce exotique envahissante concernent deux espèces d’élodée : Elodea canadensis (élodée du Canada) et Elodea nuttalii (élodée de Nuttall).
Ces plantes aquatiques, originaires d’Amérique du Nord, sont très adaptées à la montagne. Elles se fixent sur n’importe quel support, peuvent flotter, et poussent près de la surface de l’eau.
Les peuplements d’élodée sont très denses. Leurs présences modifient les caractéristiques physico-chimiques de l’eau en réduisant les apports d’oxygène dans l’eau et en diminuant la quantité de lumière pour les autres espèces immergées.

L'Elodée du Canada

nom latin : Elodea canadensis
autre nom : peste d’eau, mouron d’eau

Origine : Amérique du Nord. L'élodée du Canada est introduite en Irlande vers 1836, elle s'est ensuite répandue dans toute l'Europe.

Exemple d’observation en altitude : Elle a été observée à plus de 2200m d’altitude dans le Lac d’Oncet dans les Pyrénées 7.

Pour en savoir plus : http://especes-exotiques-envahissantes.fr/espece/elodea-canadensis/

 

L'Elodée de Nuttall

nom latin : Elodea nuttalii
autre nom : Elodée de Nuttall, Elodée à feuilles étroites

Origine : Amérique du Nord. L’Elodée de Nuttall a été introduite en 1939 en Belgique. Sa première apparition en France est mentionnée dans les années 1950 en Alsace.
Exemple d’observation en altitude : L’élodée de Nuttall a été observée dans plusieurs lacs des Alpes, notamment au Lac Fourchu 8 dans le massif du Taillefer en Isère.

Une étude menée par le Conservatoire botanique national alpin (référence 9) sur de nombreux lacs et mares des Alpes a notamment montré que l’Elodée de Nutall est en concurrence direct avec les herbiers de Potamot des Alpes (Potamogeton alpinus), espèce indigène des lacs d’altitude.

Pour en savoir plus : http://especes-exotiques-envahissantes.fr/espece/elodea-nuttalii/

En haut : Elodée du Canada - En bas : Elodée de Nuttal

En Savoir plus

(1) J.M. Alexander, J.J. Lembrechts, L.A. Cavieres, C. Daehler, S. Haider, C. Kueffer, G. Liu, K. McDougall, A. Milbau, A. Pauchard, L.J Rew, T. Seipel, « Plant invasions into mountains and alpine ecosystems: current status and future challenges », Alp Botany, vol. 126, no 2, p. 89 103, 2016, doi: 10.1007/s00035-016-0172-8.

(2) G.F. Ficetola, S. Marta, A. Guerrieri, M. Gobbi, R. Ambrosini, D. Fontaneto, A. Zerboni, J. Poulenard, M. Caccianiga, W. Thuiller, « Dynamics of Ecological Communities Following Current Retreat of Glaciers », Annual Review of Ecology Evolution and Systematics, vol. 52, nov. 2021, doi: 10.1146/annurev-ecolsys-010521-040017.

(3) D. Fontaneto, « Long-distance passive dispersal in microscopic aquatic animals », Mov Ecol, vol. 7, n°1, p. 10, mars 2019, doi: 10.1186/s40462-019-0155-7.

(4) R. Liedtke, A. Barros, F. Essl, J.J. Lembrechts, R.E.M Wedegärtner, A. Pauchard, S. Dullinger, « Hiking trails as conduits for the spread of non-native species in mountain areas », Biol Invasions, vol. 22, no 3, p. 1121 1134, 2020, doi: 10.1007/s10530-019-02165-9.

(5) C. Miaud, F. Pozet, N. C. G. Gaudin, A. Martel, F. Pasmans, et S. Labrut, « Ranavirus causes mass die-offs of alpine amphibians in the southwestern Alps, France », Journal of Wildlife Diseases, vol. 52, no 2, p. 242 252, 2016, doi: 10.7589/2015-05-113.

(6) IUCN France, « Espèces exotiques envahissantes »,https://uicn.fr/especes-exotiques-envahissantes/ (consulté en juin 2022).

(7) F. Prud’homme, B. Durand, lionel Gire, et M. Infante, « Première synthèse sur la flore et les végétations des lacs des Pyrénées françaises », 2020.

(8) G. Billard, « Quelques observations aquatiques du Sud Dauphiné - Recherche des Characées, et de la faune et la flore aquatiques, Recherche des plantes exogènes (Elodea sp) », 2020. • (9) P. Debay, B. Lambey, et J C. Villaret, « Alpes palustres. Végétations palustres et aquatiques des mares et lacs d’altitude », 2021. http://cbn-alpin-biblio.fr/Record. htm?record=19211479124910396519

Fiche 13 : Quelles sont les conséquences de l'arrivée de nouvelles espèces dans les lacs ?