Comment les espèces survivent-elles dans les lacs d'altitudes ?

De la glace, de l’eau froide, des orages puissants, des rayons ultraviolets …. les conditions sont rudes pour vivre dans les lacs d’altitude ! Bien que cet environnement puisse nous sembler hostile, les espèces liées aux lacs de haute montagne y sont adaptées et très spécialisées

Les conditions extrêmes du milieu :

Par rapport aux lacs de plaine, les lacs de montagne sont des écosystèmes qui fonctionnent au ralenti du fait des conditions suivantes :

  • De l’eau à faible température (par rapport aux lacs de plaine) ;
  • Des luminosités très variables selon les saisons, avec très peu de luminosité en hiver ;  
  • Une longue période où le lac est recouvert d’une couche de glace ;
  • La diminution de la pression de l’air en altitude qui réduit la disponibilité du CO2, nécessaire à la photosynthèse.

Les conditions environnementales peuvent également varier très rapidement. Par exemple au bord du lac d’Anterne, il faisait 18°C le 15 août 2021 vers 15h et seulement 6°C le lendemain à la même heure. Pour survivre, la faune et la flore sont adaptées à ces conditions extrêmes !

Été / Hiver

L'été :

En été, c’est la luminosité liée au rayonnement solaire qui contraint le plus les organismes vivants.  En haute altitude, l’épaisseur de l’atmosphère est plus réduite qu’en plaine, le rayonnement solaire est donc plus fort1 tout comme les rayonnements ultraviolets. L’absorption des rayonnements UV par l'atmosphère diminue de plus de 1 % tous les 100 mètres.

L'hiver :

Durant l’hiver, la couche de glace en surface et les faibles températures le long de la colonne d’eau font que la vie dans le lac est au ralentie. Même si la photosynthèse peut parfois avoir lieu sous la glace, elle est optimale seulement 3 à 5 mois par an selon les lacs.

Les conséquences biologiques

Du fait de la couche de glace :

En hiver, les échanges entre l’air et l’eau du lac n’ont plus lieu. La neige recouvrant la glace obstrue souvent la lumière qui ne traverse donc pas la couche de glace. Sans lumière, pas de photosynthèse et donc peu ou pas de création de biomasse. Le manque d’échange avec l’air et l’absence de photosynthèse font baisser la concentration en oxygène dissous dans l’eau du lac alors qu’il est essentiel pour tous les organismes vivants : zooplancton, invertébrés, poissons, flore aquatique…

Du fait des basses températures :

Certaines réactions biochimiques se font plus lentement lorsqu’il fait froid. Par exemple, même si la lumière captée par les organismes est suffisante pour accomplir de la photosynthèse, les réactions cellulaires sont ralenties. L’eau du lac étant froide même en été, la consommation de nutriments par les plantes et le phytoplancton est beaucoup moins importante qu’à basse altitude.

Du fait de la lumière :

Les rayonnements ultraviolets sont capables d’impacter de nombreuses structures au niveau cellulaire, et notamment au niveau de l’ADN (autant chez les végétaux que chez les animaux).

De manière générale, tous ces phénomènes physiques s’ajoutent et entraînent des conditions de vie plus rudes qu’en plaine. Le développement de producteurs (algues, phytoplancton, bactéries... - voir question 8) est moindre qu’en plaine et sur une période de l’année réduite : ce qui limite par conséquence la quantité de ressources nutritives disponibles pour les autres organismes dits « consommateurs » (insectes, amphibiens, zooplancton, poissons ...).

Lac glaciaire au pied du glacier de Gébroulaz

Les plantes aquatiques dans les lacs

On retrouve des plantes aquatiques dans les 22 lacs alpins suivis par le réseau Lacs Sentinelles.

  • Lac de Plan Vianney (altitude : 2250m) :  6 espèces de plantes, dont 2 mousses, acceptent d'avoir "les pieds dans l'eau".
  • Lac des Pisses (altitude : 2490m) : 7 espèces ont été trouvées dont une petite renoncule qui plonge jusqu'à 1,50 m de profondeur !
Joncs au lac de Pormenaz
Pesse d'eau
Elodée sous la glace au lac Besson à 2100m d'altitude

Les adaptations des organismes vivants

PLANTES AQUATIQUES

De manière générale, la température optimale de croissance des plantes aquatiques se situe en moyenne entre 25°C et 30°C. Or, on retrouve de nombreuses plantes aquatiques dans les lacs et mares d’altitude. Bien que les faibles températures bloquent l’activité cellulaire, certaines espèces sont capables de grandir avec des eaux inférieures à 5°C.
C’est le cas par exemple de la renoncule déracinée (Ranonculus tricophyllus eradicatus), de l’isoète des lacs (Isoetes lacustris) ou encore des espèces exotiques comme les élodées (Elodea spp.).

La renoncule déracinée

Elle atteint des records : on la retrouve jusqu’à 2750m d’altitude dans le lac de Lanserlia en Vanoise. Elle résiste au froid, au gel, … mais comment ?

  • En adaptant sa physiologie : Des études au laboratoire CARRTEL/USMB (Arthaud et al. In prep) ont montré que la photosynthèse des individus d’altitude est plus efficace dans l’eau froide qu’à basse altitude, à priori en augmentant la synthèse d’enzymes responsables de la photosynthèse.
  • En adaptant ses capacités de croissance : elle est capable d’une forte acclimatation aux changements de température : une longue période de froid ne l’empêche pas de grandir rapidement dès que la température se réchauffe et d’atteindre en 2 semaines une taille comparable aux individus de plus basse altitude.

 

Renoncules déracinées avec ses racines (issues directement des tiges) qui restent dans l'eau

ODONATES

Certaines espèces de libellules sont adaptées à l’altitude et ne descendent pas en plaine. Elles sont résistantes au gel et ralentissent totalement leur activité en hiver.

Par exemple, la Cordulie alpestre (Somatochlora alpestris) se rencontre seulement près des mares et tourbières d'altitude entre 800 et 2500 m d’altitude ! La phase larvaire de la Cordulie alpestre peut durer jusqu’à 5 ans ; les larves supportent autant les périodes de sécheresse que les périodes de gel prolongé, en s’enfouissant dans la tourbe.

L’Aeschne azurée (Aeshna caerulea), beaucoup plus rare, se retrouve seulement à partir de 1000 m d’altitude. Les femelles volent les jours ensoleillés dès les 6-8°C ! Les mâles sont aussi adaptés aux conditions extrêmes et très variables du milieu : leurs yeux et abdomens passent d’un brun violet à un bleu clair réfléchissant au-dessus de 16°C  2.

 

Cordulie alpestre

AMPHIBIENS

Des différences de comportement, de cycle de vie et de physiologie ont été observées entre les populations d’amphibiens de montagne et celles de plaine.

Le Triton alpestre :

On retrouve des tritons alpestres jusqu’à 2600m d’altitude !
Les basses températures ralentissent le développement embryonnaire et larvaire des tritons. Les larves se métamorphosent généralement la deuxième année, contre la première année chez les individus de plaine : le cycle de vie est donc ralenti par le froid.
Certaines populations peuvent abriter des individus pédomorphiques, c'est-à-dire, des adultes reproducteurs ayant conservé des  caractéristiques larvaires (notamment les branchies au lieu des poumons) ; ces individus sont par conséquent 100% aquatiques 3.

 

Triton alpestre
Grenouille rousse

La grenouille rousse :

On retrouve la grenouille rousse jusqu’à 2800m d’altitude ! Les populations de grenouille rousse de montagne sont adaptées aux longs hivers et aux faibles températures.
Les phases de développement sont plus longues pour les populations de montagne. Elles ont aussi une longévité plus longue et sont souvent plus grandes que celles de plaine (car les amphibiens grandissent tout au long de leur vie).

Alors que les populations de plaine sont très terrestres, la plupart des individus en montagne retournent à l’eau pour hiberner dans des plans d’eau assez profonds ou des cours d’eau.

Au printemps, lorsque la neige fond, les grenouilles rousses pondent dans les plans d’eau d’altitude. Les études du CREA menées dans le massif du Mont-Blanc montrent que les premières pontes à 1300m d’altitude ont lieu en moyenne 20 jours plus tôt que les pontes à 1900m d’altitude 4.

Pour en savoir plus sur les grenouilles rousses : https://atlasmontblanc.org/explorer/grenouilles

Différences entre les grenouilles rousses de plaine et les grenouilles rousses de montagne

En Savoir plus

(1) P. Streb, G. Cornic et R. Bligny « Comment les plantes supportent les stress alpins ? », Encyclopédie de l’environnement, 2017. /www.encyclopedie-environnement. org/vivant/plantes-supportent-stress-alpins/ (consulté le 3 mars 2022).

(2) H. Wildermuth, « Fiches de protection espèces – Libellules – Aeshna caerulea », Groupe de travail pour la conservation des Libellules de Suisse, CSCF info fauna, Neuchâtel et Office fédéral de l’environnement, Berne. p. 5, 2013. 

(3) M. Denoel et F. Andreone, « Trophic habits and aquatic microhabitat use in gilled immature, paedomorphic and metamorphic Alpine newts (Triturus alpestris apuanus) in a pond in central Italy », Belgian Journal of Zoology, vol. 133, p. 95-102, 2003.

(4) M. Bison et al., « Earlier Snowmelt Advances Breeding Phenology of the Common Frog (Rana temporaria) but Increases the Risk of Frost Exposure and Wetland Drying », Frontiers in Ecology and Evolution, vol. 9, 2021, 2022. www. frontiersin.org/article/10.3389/fevo.2021.645585)

Fiche 11 : Comment les espèces survivent-elles dans les lacs d’altitude ?