Que mangent les poissons dans les lacs de montagne ?

Pour la plupart des personnes observant les lacs de montagne, tels que les randonneurs, les poissons apparaissent comme la preuve de la vie, et semblent fournir un indicateur de bonne santé de ces lacs.

Pourtant, ils ne sont que le dernier maillon de la chaîne, un maillon ajouté par l’Homme et qui nécessite une gestion piscicole durable1.

Les poissons perturbent-ils les écosytèmes de ces lacs ?

Les lacs de montagne sont des milieux oligotrophes, c’est-à-dire pauvres en éléments nutritifs, où les cycles alimentaires fonctionnent au ralenti. La présence de poissons, comptant parmi les groupes d’animaux comprenant le plus d’espèces envahissantes, a de nombreux impacts sur les espèces aquatiques indigènes, et bouleverse la chaîne trophique (voir question 8) et l’écosystème. En effet, ils se situent en haut de la chaîne trophique, occupant alors une place inexistante avant leur introduction.

Les salmonidés sont des prédateurs visuels. Ils se nourrissent d’œufs d’amphibiens, de crustacés de grandes tailles et de larves d’insectes, et ont donc des impacts sur ces populations aquatiques et terrestres2 . Il est à noter que les amphibiens comptent parmi les groupes les plus menacés en eau douce.

On peut, par exemple, citer le Calotriton des Pyrénées, amphibien endémique de ce massif et qui subit une très forte pression du fait de l’introduction de poissons dans ses habitats naturels.

Les salmonidés exercent également une prédation sur le zooplancton3 (plancton animal), mais aussi sur les animaux qui vivent au fond des lacs (le zoobenthos)4. Les poissons s’attaquent donc aux prédateurs des algues microscopiques, aussi appelées microalgues (le phytoplancton).

Avec plus de phytoplancton, l’eau devient moins claire et la croissance de certaines plantes aquatiques peut être alors gênée par ce manque de lumière. Pour s’adapter, des plantes comme les isoètes peuvent parfois se déraciner.

Ces changements provoqués par la présence de poissons peuvent aller jusqu’à la transformation vers un milieu mésotrophe, c’est-à-dire moyennement riche en éléments nutritifs ou carrément vers un milieu eutrophe (trop riche en nutriments) (voir question 3).

Réseau trophique simplifié d’un lac empoissoné (avec poissors)

L’introduction de poissons dans les lacs de montagne nuit-elle seulement à cet écosystème ?

Les perturbations sur ces espèces engendrent des dysfonctionnements en cascade sur tout l’écosystème aquatique, et par conséquent sur les ressources de l’écosystème terrestre5 qui lui est lié, notamment les insectivores, c’est-à-dire les animaux qui se nourrissent d’insectes. C’est par exemple le cas de perturbations chez les oiseaux, reptiles, araignées, chauve-souris et insectes.

Réseau trophique d'un lac avec et sans poisson

En plus de ces perturbations sur les écosystèmes des lacs de montagne, les poissons peuvent coloniser les autres habitats aquatiques à proximité, et ont donc un impact écologique plus vaste, souvent à l’échelle d’un bassin versant entier.

Libellule (Aeshna juncea)

Que se passe-t-il lorsque l'on retire les poissons d'un lac où ils ont été introduits ?

Dans différentes régions du monde, notamment aux Etats-Unis, et plus proche dans le Parc national du Grand Paradis en Italie ou dans le Parc national des Pyrénées, des projets de restauration ont été mis en place en retirant les poissons introduits dans certains lacs d’altitude : une tâche lourde et très complexe.

Dans ces milieux, et lorsque des lacs ou étangs exempts de poissons se trouvent à proximité, les espèces autochtones qui avaient alors disparu réapparaissent progressivement. Les écosystèmes peuvent alors retrouver un état proche de leur état initial.

Ces actions de désempoissennement nécessitent une longue préparation et de nombreuses journées sur les lacs avec différentes techniques comme des filets ou des pêches électriques.

Opération de désempoissonement dans un lac du Parc du Gran Paradis (Italie)

Les vairons : petits mais coriaces !

Malgré leur petite taille, les vairons se trouvent en haut de la chaîne trophique, voire même au sommet s’il n’y a pas de salmonidés dans le lac.

Les vairons s’adaptent bien dans les lacs de montagne. Quand une grande communauté de vairon est installée, ils fouillent activement dans les sédiments ce qui réduit la transparence de l’eau et impacte alors tout l’écosystème : plantes aquatiques, phytoplancton ...

Les vairons sont une des espèces piscicoles les plus problématiques pour les lacs d’altitude6.

Les opérations de désempoissonement sont encore plus difficiles voire impossibles lorsque des vairons sont dans les lacs.

Il faut éviter d’introduire des vairons dans les lacs (ce qui arrive notamment via la pêche au vif).

Etude des poissons au lac de Pétarel (Ecrins) : Que mangent-ils ?

Au lac de Pétarel, le contenu des estomacs des poissons présents dans le lac ont été étudiés7. En capturant plus de 80 ombles et 20 truites, les scientifiques ont pu étudier leurs régimes alimentaires.

Ainsi au mois de juin, les ombles se nourrissent pour moitié de proies aquatiques (le zooplancton ou larves aquatiques d’insectes) et pour moitié des insectes.

Lac de Pétarel

En Savoir plus

(1) J. Coulombier, « Vers une gestion piscicole durable en cœur de parc », Parc national de la Vanoise - Agence française pour la biodiversité - Fédération départementale de pêche 73, 2019.

(2) R. Tiberti et A. von Hardenberg, « Impact of introduced fish on Common frog (Rana temporaria) close to its altitudinal limit in alpine lakes », Amphibia-Reptilia, vol. 33, no 2, p. 303-307, 2012, doi: 10.1163/156853812X634044.

(3) L. Cavalli, A. Miquelis, et R. Chappaz, « Combined effects of environmental factors and predator–prey interactions on zooplankton assemblages in five high alpine lakes », p. 9, 2001.

(4) R. Tiberti, A. von Hardenberg, et G. Bogliani, « Ecological impact of introduced fish in high altitude lakes: a case of study from the European Alps », Hydrobiologia, vol. 724, no 1, p. 1-19, 2014, doi: 10.1007/s10750-013- 1696-1.

(5) M. Ventura, R. Tiberti, T. Buchaca, D. Buñay, I. Sabás, et A. Miró, « Why Should We Preserve Fishless High Mountain Lakes? », in High Mountain Conservation in a Changing World, vol. 62, J. Catalan, J. M. Ninot, et M. M. Aniz, Éd. Cham: Springer International Publishing, 2017, p. 181-205. doi: 10.1007/978-3-319-55982-7_8.

(6) A. Miró, I. Sabás, et M. Ventura, « Large negative effect of non-native trout and minnows on Pyrenean lake amphibians », Biological Conservation, vol. 218, p. 144-153, 2018, doi: 10.1016/j. biocon.2017.12.030.

(7) L. Cavalli et R. Chappaz, « Etude hydrobiologique d’un lac de haute altitude du Parc national des Ecrins - le lac de Plan Vianney (Oisans) », Université de Provence, laboratoire d’hydrobiologie, Ecrins, Rapport d’étude, 1994.

Fiche 10 : Que mangent les poissons dans les lacs de montagne ?